Excellent article sur Le Monde traitant du début de la saison 3 (
ne pas lire si vous n'avez pas vu la fin de la saison 2!)
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21 octobre 2014, par Pierre Sérisier
The Walking Dead – L’évolution à rebours
The Walking DeadIl est préférable d'être à jour pour lire cette note
La constance n'a jamais été une vertu de The Walking Dead. L'adaptation des ouvrages de Robert Kirkman et Charlie Adlard joue, depuis sa création, aux montagnes russes. Elle atteint par moments des sommets pour aussitôt plonger vers de profonds creux narratifs. Le début de la cinquième saison (sur AMC et sur OCS) était attendu en raison du suspense installé à la fin de l'année dernière. Les audiences ont été largement au rendez-vous avec un record de 17,3 millions de spectateurs aux Etats-Unis pour la reprise il y a une semaine.
On avait laissé Rick Grimes et son groupe prisonniers dans un camp baptisé "Terminus" qui avait tout d'un lieu d'extermination. Après une longue errance, les survivants se trouvaient enfermés dans un wagon de marchandises, attendant d'être dépecés et mangés par des adversaires qui avaient évacué le tabou du cannibalisme.
Face à la violence des circonstances, des humains avaient eu l'idée de tendre un piège à leurs semblables (les attirer vers ce qui se présentait comme un havre de paix) afin de s'en servir comme réserve alimentaire. L'endroit était devenu un entrepôt de la barbarie, un abattoir dont ne ressortaient jamais ceux qui avaient succombé à la crédulité et à l'espoir d'un peu de repos.
Le sujet de l'anthropophagie est porteur (en plus d'être visuellement spectaculaire - et peu nous est épargné) car il renvoie à deux aspects. Le premier est interne à l'histoire: les occupants du Terminus se livrent à un comportement qui est de la même nature que celui développé par les zombies. Ils se nourrissent d'être vivants afin de continuer à exister.
Leur adaptation s'accomplit à rebours. Ils ont renoncé à exercer leur imagination pour trouver de nouveaux moyens de subsistance. Ils sont parvenus à un état de déchéance morale identique à celui que connaissent les morts-vivants. Une explication est fournie dans le premier épisode par le biais de flashbacks mais jamais elle ne paraît acceptable.
Il ne s'agit pas ici de justifier l'injustifiable, seulement de nous forcer à réagir et de nous interroger sur ce que nous serions prêts à faire, de nous questionner sur les crimes que nous serions enclins à commettre. Les scénaristes ne nous laissent pas le choix et nous contraignent à une prise de conscience qui va au-delà des seules images. La stratégie des cannibales est celle de l'épuisement des ressources et ne peut être viable qu'à court terme.
The Walking Dead 2Marchepied
Il ne faut pas réfléchir bien longtemps pour imaginer que le nombre de proies potentielles ne cesse de se réduire et que la pénurie devient la seule ligne d'horizon. Si cela perdure, on peut imaginer que les anthropophages finissent par se manger les uns les autres jusqu'à l'extinction de l'espèce. Le terme de cette politique étant l'endocannibalisme.
"Eating people. It evolved into that. We evolved. We had to. And now we've 'devolved' into hunters. I told you. We can't go back." C'est l'explication que fournit l'un des mangeurs d'hommes pour justifier sa politique de survie. Elle apparaît comme la remise en cause ultime de l'état humain, la transgression qui ignore le suicide collectif, le triomphe de l'instinct sur la raison, la gestion de l'immédiat aux dépens de la construction de l'avenir.
La dénonciation de cette idée n'est pas neuve et, c'est le deuxième aspect passionnant de ce parti pris, puisqu'on trouve la pratique prescrite dans la Bible. "Vous mangerez la chair de vos fils, et vous mangerez la chair de vos filles" ou encore "Donne ton fils! nous le mangerons aujourd'hui, et demain nous mangerons mon fils". La transgression trouve ses fondements dans un interdit sur lequel repose la morale chrétienne.
Les scénaristes de TWD, étant assez malins, ce n'est sans doute pas un hasard, si après avoir échappé au sort funeste d'être éviscérés et transformés en chair prête à consommer, Rick et les siens croisent le chemin d'un prêtre qui survit dans une petite église au milieu des bois.
Ces deux épisodes sont intimement liés par le fond. Ils fonctionnent comme les deux visages d'une même monstruosité et nous interrogent sur notre capacité d'adaptation. Ils posent la question de la responsabilité et de l'anticipation que nous sommes capables, ou non, d'avoir quand il s'agit de notre futur. La BD de Kirkman et Adlard tourne autour d'un seul thème, celui de notre aptitude à nous réinventer, à concevoir.
La menace d'une disparition et la rupture des équilibres connus ne sont que des prétextes à un questionnement plus général. L'intervention du religieux, au travers de la rencontre avec le prêtre, ne s'impose pas comme salvatrice. Cela est superbement dit par le personnage de Michael Cudlitz, dans l'épisode deux, le salut ne peut passer que par les hommes. Comme s'il n'y avait personne d'autre. Ce qui n'est pas une remarque anodine aux Etats-Unis.
Après avoir exploré bien des thématiques, telle que celle de la dictature comme artifice de la survie, The Walking Dead s'attaque à celle de notre évolution. Au fond, la série (mais aussi la BD) présente ce talent de n'éluder aucune question. On pourrait même se demander si les épisodes faibles (voire très faibles) ne servent pas de justificatifs et de marchepied comme pour mettre encore mieux en évidence les épisodes forts et remarquables ?
C'est peut-être toute la beauté de cette adaptation. La série accuse parfois de douloureuses faiblesses et parfois elle approche la perfection. C'est sans doute pour cette raison qu'au bout de cinq saisons, on n'a pas totalement décroché, qu'on n'a pas renoncé. Car on n'est jamais à l'abri d'une bonne surprise.